Pour un concours d'éloquence, je me suis penché sur cette question qui secoue l'humanité depuis pas mal de temps. Sur le thème "faut-il connaître pour aimer?", je devais défendre l'affirmative.
Figurez vous: moi-même, à 13 ans, une douce nuit d’été, un fil de fer faisant de ma bouche un chantier, saisissant tout à coup le sens du verbe « aimer ».
Elle est belle, elle m’attire.
Mon cœur bat à tout rompre.
A quoi bon plus la connaitre?
Un « je t’aime » innocent s’envole de mon être.
L’époque du brevet et des rendez-vous chez l’orthodontiste n’est pas celui du grand amour, nos sommes d’accord. Si avoir une érection à la fin d’une boum ratée de fin de colonie de vacances entrainait un mariage à vie, les choses seraient beaucoup plus simples.
Maintenant, laissez-moi vous poser une question. Quelle est la différence entre moi à 13 ans et ceux qui, bien plus tard, épousent la personne qu’ils affirment « aimer »?
Leurs « je t’aime » sont-ils moins candide que les miens? Je ne pense pas.
La différence entre eux maintenant, et moi à l’époque, c’est que eux se connaissent.
Notre époque est atteinte d’une pathologie de la connaissance. Pas besoin de sociologues ou d’historiens pour comprendre pourquoi 50% des couples divorcent aujourd’hui.
Les gens s’accouplent à coup de coup de foudre; en un claquement de doigts; un court instant intense et, soudainement, ils s’aiment.
Pauvres fous.
Qui ne connait pas n’aime pas, ou aime mal, car il aime partiellement.
N’a-t-il pas fallu quatre actes entiers à Roxanne pour éprouver des sentiments pour Cyrano?
N’a-t-il pas fallu deux lettres par jour pendant toute une guerre?
N’a-t-il pas fallu qu’elle lise quotidiennement les alexandrins les plus magnifiques qui soient?
Connaitre quelqu’un, ce n’est pas forcément découvrir quelque chose d’inouï.
Qui sait comment Brigitte aurait réagi si le jeune Macron écrivait comme Christian?
On raconte qu’en corrigeant ses copies, elle fut subjuguée par l’intelligence du jeune homme: admettez qu’il faut être assez habile pour réussir à draguer à coup d’analyses littéraires de Balzac, mais, passons.
On raconte aussi qu’une solide relation épistolaire liait les deux individus tandis que monsieur faisait ses études. Pas besoin d’un amour passionnel; rien ne vaut une bonne série de lettres pour apprendre à se connaitre.
7 ans et une infraction du code pénal plus tard, ils se retrouvent et se marient. Nous avons tous à apprendre de ce détournement de mineur — pardon, de cette histoire d’amour.
La fièvre de la passion n’est rien si l’autre est pour nous un mystère.
Mais attention! Connaitre quelqu’un, c’est s’ouvrir au danger.
C’est s’ouvrir à un soudain: « Chéri, pour ton anniversaire, j’ai acheté deux places premium pour le concert de Black M à l’Olympia. »
Aïe.
Cela fait 6 mois que vous vous connaissez. Vous affirmez l’avoir aimé immédiatement.
Mais l’aimerez-vous encore quand vous découvrirez qu’elle écoute en secret
Le remix « électro » des 4 saisons de Vivaldi
La version « dubstep » d’un opéra de Tchaikovsky
L’aimerez-vous encore quand vous vous rendrez compte
Qu’elle n’aime pas les Beatles, qu’elle préfère Vita
Qu’elle adore l’Aladin joué par Kev Adams?
L’aimerez-vous encore quand vous vous rendrez compte
Qu’elle préfère « Aurélie » de Colonel Reyel au « Plat Pays » de Brel?
Lorsqu’on connait quelqu’un, dans les moindres recoins de sa personnalité, même les plus dérangeants, il devient possible d’aimer entièrement.
Connaitre l’autre, c’est faire le choix de rester avec lui malgré tout cela.
C’est le choix de Juliette dont l’amour pour Roméo ne cesse de bruler même si les Montaigu haïssent les Capulet.
C’est le choix de Roxanne, dont la passion, intense, ignore que Cyrano possède un membre immense.
C’est le choix de Mme Macron, parfaitement à son aise, à l’époque, tandis qu’elle enfreignait la loi française…
« Connaissez-vous les un les autres », aurait du dire Jésus. Il aurait fait plus de miracles. Et les couples mariés divorceraient moins…
Plutôt Octogone, cage de combat libre, ou hexagone, symbole de notre beau pays ? Un texte tiré d'un concours d'éloquence, qui mobilise une argumentation tirée par les cheveux, des jeux de mots et des jolies phrases (en tout cas, j'ai essayé).
Un texte sans concession qui remercie mes ami.es, et de manière générale tous les ami.es du monde. Un poème oral, rédigé pour être déclamé.